Les moulins de la Laurence

Incroyable mais vrai ! 17 moulins ont été en activité sur la Laurence, certains subsistent mais plus aucun n’est en activité. Ce qui reste remarquable, c’est leur fonctionnement et leur fonction. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, peu nombreux étaient des moulins à farine ou à huile. Roues verticales ou horizontales à prise directe ou indirecte, tous les types de modèles ont existé.
Il y en a même un qui, avant l’électrification de 1954,  produisait de l’électricité. Sa remise en service aujourd’hui, en ces temps écologiques de préservation de notre environnement, ne serait-elle pas une belle opportunité ?

Les moulins d’Auriac-du-Périgord

La force des hommes et des animaux a été longtemps la seule source d’énergie mécanique. L’utilisation de l’eau courante fut une innovation très importante. Les moulins à eau sont attestés dans l’Empire Romain en Orient dès le IIIème siècle après Jésus Christ ; ils se répandent en Occident beaucoup plus tard, entre le VIème et le XIIème siècle.

Ils représentent une avancée considérable : on a estimé que pour broyer le grain,  une meule accomplissait le travail de 40 hommes. Les historiens estiment que la diffusion du moulin à eau est une des causes les plus importantes de la suppression progressive de l’esclavage, entre le IIIème et le IXème siècle. Cette source d’énergie a été largement employée jusqu’au XIXème siècle, puis elle a décliné devant la concurrence des machines à vapeur, puis de l’électricité.

Les moulins à eau s’établissent soit directement sur la rivière, soit plus fréquemment sur un canal de dérivation, le bief. À Auriac, comme le débit de la Laurence est irrégulier, tous les moulins de quelque importance sont pourvus à l’extrémité du bief d’un bassin de retenue, le réservoir : ceci permettait au moulin de fonctionner plus longtemps. En fait, pour ces moulins à blé, les périodes d’activité étaient surtout l’automne et l’hiver, quand l’eau était abondante : ce sont justement les saisons où avant la révolution industrielle du XIXème siècle, le grain, moissonné en juillet et lentement  dépiqué au fléau,  pouvait être broyé.

L’eau courante faisait mouvoir la roue du moulin. Parmi les moulins conservés à Auriac, on en trouve dont la roue est placée à l’extérieur du bâtiment comme à La Borie Haute, et d’autres dont la roue se trouvait à l’intérieur comme au moulin d’Auriac. Presque tous avaient une roue verticale, sauf un celui de la Borie Basse, dont la roue était horizontale.

Parmi les roues verticales certaines étaient mises en mouvement  par la base : le courant de l’eau poussait les pales. Ils ne nécessitaient pas de réservoir surélevé, donc pas de longues dérivations. Mais le rendement était médiocre. On parle Roue en dessus. C’étaient des roues à pales ou à aubes.

D’autres recevaient l’eau par un canal qui arrivait au sommet de la roue, comme au moulin d’Auriac. Dans ce cas le rendement était meilleur parce que la roue était animée à la fois par la vitesse de l’eau et par son poids dans les augets. Mais il fallait pouvoir installer un réservoir surélevé. C’étaient les roues en dessous.

Moulin-Roue-Vézére-Dordogne
Moulin-Roue-syndicat-Vézére-Dordogne

Un mécanisme rudimentaire transmettait le mouvement de la roue verticale aux meules qui étaient évidemment horizontales : Le mouvement de la roue était transmis à un rouet, qui par l’intermédiaire de la lanterne faisait tourner la meule supérieure ou meule tournante. Le grain était versé par le meunier dans la trémie, son écoulement était régulé par l’auget, il s’écoulait au centre de la meule tournante, était broyé entre les deux meules, puis la mouture était évacuée vers l’extérieur.

Un autre type de moulin, particulièrement fréquent dans le sud de la France, le moulin à roue horizontale, est représenté à Auriac par le moulin de la Borie Basse. Dans ce cas,  la roue horizontale entrainait directement la meule tournante située à l’étage au-dessus. Ce type de roue avait un bon rendement, si les pales étaient bien taillées en « cuillères », et il préfigure la turbine.

Schéma-moulin-Vézére-Dordogne
Schéma-moulin-roue-horizontale-Vézére-Dordogne

Géographie des moulins d’Auriac

Géographie-des-moulins-d’Auriac-Vallée-de-la-Laurence-Dordogne

La Laurence est une rivière courte : de sa source à Thenon à son confluent avec la Vézère à l’amont de Montignac, elle parcourt environ 15 km. Mais elle a une pente relativement forte, d’environ 1%, et moyennant certains aménagements (canaux de dérivation, réservoirs etc.) elle faisait mouvoir dix sept moulins. Dans la commune d’Auriac il en subsiste actuellement cinq : celui de Ségelard, celui d’Auriac, celui de la Borie Haute devenu récemment un hôtel restaurant sous le nom de « moulin de Mitou », le moulin dit anciennement de la Vergne, puis de la Borie Basse, enfin celui de Vialot.

Les archives nous parlent aussi d’un moulin de Beaupuy, qui se trouvait autrefois sur le ruisseau du même nom, et des « moulins rompus » du Caillauguet, de Lasserre et de Lespinasse.

Mais le débit de la Laurence est irrégulier : basses eaux en été et crues soudaines lors des orages sont les principaux inconvénients.

Certains aménagements sont nécessaires : un canal d’amenée d’eau (dit bief du moulin) de pente plus faible que la rivière permet de ménager une chute d’eau ou au moins un débit rapide, juste avant la roue ; un réservoir à l’amont du moulin permet de régulariser le débit et de prolonger le temps d’activité ; souvent un déversoir, en amont du réservoir, évite localement les crues et inondations ; enfin en aval, un canal de fuite ramène l’eau qui a animé les meules à la rivière. Moyennant quoi, la Laurence a pu faire tourner les roues de ses moulin, du moins en automne et en hiver, quand ses eaux sont abondantes.

Le-moulin-de-Vialot-Vézére-Dordogne
Canal-ecoulement-Moulin-la-Laurence-Dordogne
Moulin-meule-Vézére-Dordogne
Roue-Moulin-la-Laurence-Dordogne
aménagements-hydrauliques-du-moulin-de-Vialot,-jadis-moulin-du-Caillauguet-cadastre-1813-Dordogne

Du réservoir partait un canal, l’obée, qui conduisait l’eau à la roue. Il se terminait par une écluse, qui pouvait être obstruée par un « pal ». Dès qu’on l’ouvrait, l’eau se ruait sur la roue qui se mettait à tourner, les mécanismes s’enclenchaient, et tout cela faisait beaucoup de bruit. Le meunier, qui vivait aussi dans la poussière de farine devait constamment surveiller l’état de son bief ainsi que les mécanismes, et chaque semaine marteler les meules pour les garder rugueuses et capables d’écraser le grain. C’était un métier pénible et plutôt malsain.

Les meuniers avaient une mauvaise réputation : ils étaient parfois suspectés de sorcellerie, et généralement considérés comme des voleurs. En effet, ils prélevaient pour leur travail une partie du grain que le paysan leur donnait à moudre. Mais comme la farine est légère et s’envole facilement, le client ne retrouvait jamais le poids de farine et de son qu’il pensait recevoir. C’était, comme souvent autrefois, un métier qui se transmettait de père en fils, et on connaît des familles où de nombreux cousins sont meuniers sur la même rivière.

Histoire des moulins

Lorsque s’instaure le régime féodal, le seigneur se réserve la propriété des cours d’eau et donc des moulins dans l’étendue (le ban) de sa seigneurie. Ce sont des « moulins banaux », c’est-à-dire que les tenanciers ont l’obligation de faire moudre leur grain uniquement dans le moulin qui relève de leur propre seigneur, et ils doivent payer pour cela. C’est une clientèle captive, et le fermage du moulin est pour le seigneur rural une source de revenus notable.

La paroisse d’Auriac était partagée sous l’Ancien Régime entre plusieurs seigneuries : Montignac, La Faye, Beaupuy et Rastignac. Chacun de ces seigneurs y avait son moulin banal. Le seigneur, propriétaire du moulin, l’affermait à un meunier professionnel. Le meunier, dans cette société où peu de monnaie circulait, prélevait une part du grain que lui apportait le paysan ; d’autre part, le contrat d’afferme du moulin stipulait la plupart du temps une redevance en nature, et le meunier versait au seigneur une partie des prélèvements qu’il avait fait sur le grain des paysans. Au XVIIIème siècle seulement, on voit apparaître des redevances stipulées en argent.

Certaines des seigneuries d’Auriac comme Beaupuy ou Ségelard ont été vendues à des roturiers avant la Révolution. Leurs moulins ont subsisté, libres de droits seigneuriaux, et une certaine concurrence s’est établie dans la paroisse : les paysans tenanciers d’autres seigneurs ont essayé d’y faire moudre leur blé à meilleur marché, d’où de nombreux procès à la fin de l’Ancien Régime, le seigneur exigeant le maintient de ses droits et revenus anciens.

Au XIXème siècle, l’amélioration des moyens de transport, et de nouvelles sources d’énergie, la machine à vapeur puis l’électricité, ruinent l’économie ancienne des moulins à eau. Au début du XXème siècle au contraire, on assiste à une certaine diversification ; une circulaire du Ministère de l’Agriculture, direction de l’hydraulique et des améliorations agricoles, en 1904, insiste sur l’intérêt qu’il y aurait à utiliser les retenues et digues qui existent encore pour installer des machines hydrauliques modernes, plus performantes, voire des turbines.

A Auriac, le moulin de la Borie Haute est créé comme filature, et ensuite transformé en fabrique de pièces de bijouterie avant de devenir une scierie, et un nouveau moulin est édifié à Vialot, sur des aménagements anciens, comme corderie.
Ces innovations ont eu une durée de vie brève et aucun moulin ne fonctionne plus à Auriac. Les bâtiments subsistent parfois : le moulin de la Borie Haute est devenu un hôtel restaurant et les autres des maisons d’habitation.

(Texte écrit par Jeanne Favalier tiré du fascicule « Les moulins d’Auriac » édité par « Les Amis d’Auriac-du-Périgord », photos couleurs de Gérard Boyer)
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